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Grains de sel, grains de beauté
31 octobre 2010

Vénus noire, d'Abdellatif Kechiche

affiche

Après « L’esquive » (2002), puis « La graine et le mulet » (2007) Abdellatif Kechiche réalise un biopic de la Vénus Hottentote, l’histoire vraie de Saartjie Baartman, une jeune femme originaire d’une tribu d’Afrique du Sud et qui au 19ème siècle avait été asservie contre son gré et exhibée tel un animal de foire en Europe en raison de sa  stéatopygie (une hypertrophie morphologique des fesses et des hanches, et des organes sexuels protubérants).

« Je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ».

Face au moulage du corps de, l'anatomiste Georges Cuvier est catégorique. Un parterre de distingués collègues applaudit la démonstration. Sept ans plus tôt, Saartjie, quittait l'Afrique du Sud avec son maitre, Caezar, et livrait son corps en pâture au public londonien des foires aux monstres. Elle devient l'icône des bas-fonds, montrée comme un animal de foire, manipulée par ses maîtres et promise au mirage d'une ascension dorée...On assiste ainsi à son avilissement : de la femme sauvage montrée comme un spécimen des tribus lointaines, devenue objet sexuel livrée en pâture dans les salons libertins, à la prostituée soumise d’une sordide maison close.  Saartjie mourra à 25 ans, de pneumonie et sûrement de détresse.

Un film fort et éprouvant qui fait du spectateur un voyeur complice. Un voyeur qui n’arrive pas à verser une larme, tellement retenu et bridé par la dignité, la révolte silencieuse de Saartje qui ne laisse que rarement poindre sa souffrance. Qui se soumet mais n’abdique pas.

Un film qui va au-delà des différences ethniques et de la curiosité malsaine envers la différence, pour poser la question sur les frontières de l’art, les limites de ce que l’on peut donner en spectacle : l’acteur ne s’identifie pas à son rôle mais jusqu’à quel point protège-t-il sa dignité humaine ? son intimité ? son identité ? Jusqu’où peut-il aller sans se perdre sans se laisser perdre par les autres ?

Jusqu’où la manipulation perverse, ses promesses et ses mirages peut-elle mener ? Comment concilier nos rôles et les déguisements de Bêtes de foire que nous endossons au quotidien (oui oui pour plaire à nos conjoints, à nos patrons…), avec notre sensibilité profonde, nos pudeurs et nos fiertés?

Ce film pose sans doute la vraie question de la dignité humaine : où elle commence, où elle s’arrête, jusqu’où les détours sinistres de la science peuvent-ils aller sans l’entamer sérieusement.

Et ce film va déranger sans doute les femmes, comme il m'a dérangée moi: et tant pis si cela peut paraître un discours féministe que de dire que souvent, trop souvent, presque toujours dans le monde, c'est la femme qui s'incline devant la volonté de l'homme. Au péril de sa santé (90% des personnes maltraitées dans le monde sont des femmes) , de sa diginité (80% des pauvres dans le monde sont des femmes).

Et oui, cela me dérange.

Pour information: L’étrange épopée de Vénus Noire ne s'est pas arrêté avec la mort : alors que le monde scientifique français rechignait à la voir vivante, Cuvier, le plus célèbre anatomiste de son temps la réclame et l'obtient. Il dissèque le corps, après en avoir réalisé un moulage, en conserve le squelette ainsi que les fesses et les organes génitaux conservés dans un bocal de formol... Ces restes furent exhibés au Museum d'Histoire Naturelle de Paris jusqu’en 1974. Ensuite, l'ensemble des restes furent exposés au Trocadéro pendant l'exposition universelle de 1889 pour la célébration du centenaire de la Révolution française. Le moulage et les parties conservées dans le formol seront d'abord exposés dans la section préhistoire et enfin remisés dans la réserve, suite à des plaintes du personnel et des visiteurs. Lors du tournage d'un documentaire, en 1998, par le réalisateur sud-africain Zola Meseko, tous les restes sont retrouvés et intégrés dans le film "On l'appelait la Vénus Hottentote" ! Mais, entretemps, des évènements politiques changent la face de l'Afrique du Sud : Nelson Mandela est libéré en 1994. Il faudra encore huit ans de batailles juridiques et diplomatiques pour que, le 29 avril 2002, le gouvernement français restitue la dépouille de Saartje Baartman à l'ambassade d'Afrique du Sud.

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