Destins figés
Hommes, femmes, valises et sacs
debout comme des quilles
sur le béton figés,
guettent
tendus, inquiets, raides et engourdis.
Quand du fond de la brume,
il surgit
yeux ronds pâles et jaunes dans le gris du matin.
Il halète, grince, mugit, freine, stoppe et gémit.
Les lourdes portes de son ventre tatoué
s'ouvrent enfin
béantes.
Hommes, femmes, valises et sacs obéissants
s'engouffrent résignés
dans des wagons figés
accablés de poussière
et de tant de prières!
Il halète, grince, mugit, repart, cahotant
Il s'emballe, il s'enfuit, dans le décor
il s'enfile.
Et c'est l'inanimé qui enfin
défile.
Les arbres s'envolent, les routes tracent,
les lumières s'emmêlent, les maisons détalent.
Et c'est le paysage qui n'est plus sage
pendant que toi contre ta vitre,
tu rêvasses.
Ta tête dodeline et tout ton corps se tasse
Est-ce l'horizon que ton regard appelle?
Dis-moi,
par-delà ces brouillards amers
Qu'est-ce qui t'interpelle?
Le chagrin de ton père?
Un espoir neuf enfin offert?
Une peur de misère?
Un amour qui ne t'est plus cher?
Mon Dieu, sais-tu bien ce que tu espères?
Tant d'yeux qui par les vitres fuient
le quotidien de leur ennui!
Tant d'âmes qui dans la nuit
voudraient enfouir
le ridicule de leur vie!
Mais il halète, grince, mugit, freine, stoppe et gémit.
Terminus!
Les lourdes portes de son ventre tatoué
se rouvrent encore
béantes et recrachent
les hommes, les femmes, les valises et les sacs.
Au garde-à-vous en bons soldats
ils s'engouffrent résignés
dans leurs destins figés.
Accablés de poussière,
ils n'ont plus de prière!